Vie du Groupe
Article écrit par Fernanda Arreola, enseignante en entrepreneuriat et Doyenne de la Faculté et de la Recherche, et Aymeric Pichot, Directeur des Entreprises Étudiantes à l’ISC Paris
Source : Dans un moment de crise, mieux vaut-il être téméraire ou courageux ? – Forbes France
« La valeur qui va jusqu’à la témérité est plus près de la folie que du courage »
Don Quichotte de la Mancha
En situation de crise comme actuellement, nous devons faire face à des circonstances inconnues. Dans un contexte inexpérimenté, nous avons tendance à nous inspirer des actions et idées des leaders ayant réussi. Souvent, les médias valorisent les qualités des « decision makers, mettant en valeur leur capacité à garder leur sang-froid, et à prendre des décisions risquées. Mais, est-ce que cette témérité est tout ce qui conduit à la bonne prise des décisions ?
Pour répondre à la question, la recherche académique en leadership nous éclaircit autour des trois conditions qui permettent aux individus de faire face à des situations nouvelles. Le premier élément déterminant, provient des expériences de vie qui ont eu un impact sur la façon dont un individu réagit face au risque. Le deuxième élément est l’éducation. Il a été constaté que les personnes ayant fait des études supérieures et atteints par des programmes de développement de leur capacité à diriger montraient des meilleures aptitudes de réaction et prise de décision. Le troisième élément est la personnalité de chaque individu. Un grand nombre de traits de personnalité peuvent favoriser l’action sous pression, notamment l’extraversion, l’empathie et la confiance en soi, mais des études nous proposent une trait qui sert d’intermédiaire entre personnalité et réussite : le courage.
Mais regardons avec attention la différence entre un leader téméraire et un leader courageux. La témérité est définie comme la disposition à oser, à entreprendre sans réflexion ou sans prudence ; alors que le courage est défini comme la prise de conscience de risques dans la réalisation d’une action. Dans cette perspective, mieux vaut alors agir avec prudence ou impulsivité?
D’un point de vue psychologique l’impulsivité peut être motivée par une quête de noradrénaline. Cette quête pourrait alors donner de l’impulsion à un leader pour agir, sans prendre en considération les conséquences de ses actes. Le chef d’entreprise pourrait donc être « prêt à tout risquer », sans pour autant être conscient des dommages collatéraux qu’une mauvaise décision peut avoir sur les employés, les investisseurs ou la réputation de l’entreprise.
L’impulsivité pourrait aussi empêcher la mise en place d’un plan de développement stratégique. Même si l’impulsion oriente la firme vers une opportunité de marché, le fait de changer de route au milieu d’un plan à long terme, risque de détourner l’attention et les ressources nécessaires pour aboutir les objectifs. Cet opportunisme, comme le démontre l’étude des accros au jeu, serait donc un frein à la réussite de la stratégie, car les décisions seraient traités par des styles cognitifs inadaptés à la réussite d’un plan complexe et tournés vers la réussite d’un pari spécifique. Mais comment savoir quand faut-il tenter les situations à risque, ou quand faut-il, au contraire, laisser passer une opportunité ? La réponse vient en fait du courage.
À la différence de l’impulsivité, le courage est d’apprendre à repérer les risques et trouver les moyens pour les surmonter, tout en agissant avec conscience et humilité. Par conséquent le leader se doit d’être en connaissance de ses propres limites ainsi que de l’entreprise afin de prendre des décisions avec plus de sécurité, mais aussi à gérer ses émotions comme la peur. Voici quelques conseils pour développer sa capacité à agir avec courage.
Les organisations ont toutes des limites que sont définies par deux facteurs. D’un côté les ressources qu’elles ont à disposition, et de l’autre leurs objectifs stratégiques. Afin d’identifier ses limites, dans un article de Harvard Business Review, Amar Bhide suggère un certain nombre de questions auxquelles les leaders doivent répondre afin de mieux guider leurs équipes. La première est de clarifier les objectifs : « où voulons-nous aller ». La deuxième se focalise sur le comment : « comment puis-je arriver là où je veux aller » ? La dernière est la plus importante (et pourtant plus personnelle) : « Puis-je le faire ? Sommes-nous sûrs que le défi qui se présente à nos yeux est quelque chose que nous pouvons relever ? Sommes-nous sûrs qu’avec la formation adéquate, en posant les bonnes questions, en nous entourant des bonnes personnes, et en mobilisant les ressources existantes de l’entreprise (qui sont suffisantes et qui créeront des bénéfices dès maintenant ou dans le futur), nous pouvons personnellement relever ce défi ? Avons-nous actuellement la force, la santé et la motivation pour continuer ? »
Un deuxième besoin des leaders, afin de devenir courageux, c’est le fait d’avoir un cadre de « sécurité » qui leur permettra de se permettre de faire des mauvais choix ou de se tromper. Ceci nous renvoie à la notion de la « perte acceptable », utilisée par Sarasvathy dans sa théorie de l’effectuation. Pouvoir estimer une perte acceptable est un mécanisme très important de protection, car il établit les frontières d’une mauvaise décision. Cette façon d’aborder une problématique, permettra aussi d’éviter un comportement humain connu comme « l’escalade de l’engagement ». Cette théorie, développé par Staw, nous explique que face à des résultats négatifs lors d’une prise de décision, nous avons tendance à continuer à nous investir au lieu que de changer d’itinéraire.
Certes, la peur est une construction interne que nous protège du danger. Effectivement, avoir peur est nécessaire pour réussir notre quotidien et se protéger contre les risques. Mais, afin de devenir courageux, nos peurs ne doivent pas surpasser notre capacité de perception de la réalité. Pour faire face à ce dernier challenge nous pouvons nous préparer ou nous entrainer. Une illustration de cette possibilité provient d’une activité que nous animons auprès des managers désireux de développer leur courage et capacité à évaluer les risques lors de prise de décisions. L’activité issue de la pratique des sports extrêmes consiste à descendre en rappel une hauteur de 35 mètres en fil d’Ariane.
Dans ce contexte le leader fait face à une situation de danger et va ressentir la peur de la descente. La réussite de cet exercice consiste donc dans la préparation. Ainsi dans cette activité les managers vont suivre une formation de sécurité sur la manipulation des cordes et du matériel, et sur la conduite à tenir en cas de problèmes. De même le coéquipier, sur qui s’appuie le manager, est lui aussi formé. Ils échangeront d’ailleurs leurs rôles dans l’exercice d’après. Ensuite, vient le moment de s’élancer ,nous leur demandons de faire un test sur un mur d’environ 2 mètres de haut. Après, nous renforçons la formation en fournissant des éléments spécifiques sur la façon de gérer les risques courants lors de la descente. Progressivement, nous augmentons la hauteur de descente. Nous poursuivons à nouveau avec une session de questions-réponses, un échange d’opinions et d’expériences, et un autre débriefing avec des observations et des idées supplémentaires. Au moment où nos managers atteignent le point culminant de 35 mètres (l’équivalent d’un immeuble de 12 étages) ils ressentent de la peur (de la hauteur, de tomber, d’oublier l’une des consignes), mais pourtant, leur perception leurs permets d’estimer un risque mitigé car techniquement ils se sont préparés.
Pour en conclure, nous constatons que si le courage représente une arme de travail et de réussite pour la prise des décisions sur le lieu de travail il est considéré comme inhabituel plutôt que comme la norme. Si nous voulons valoriser et encourager la bonne prise de décisions, nous devons rendre le courage accessible comme méthode de prise des décisions. Comme expliqué nos leaders et nos organisations, auront besoin d’une sensibilisation à trois niveaux ; les limites de leurs ressources et objectifs stratégiques, la perte acceptable (ou marge d’erreur) et finalement par un travail de sensibilisation et développement de la perception face à la peur à travers la préparation et la formation.