Entreprises et Alumni
Sarah Digonnet, 35 ans et mère de deux jeunes marmots, est peut-être un concentré de ce que l’Économie Sociale et Solidaire compte de diversité de parcours. Nous avons eu la chance d’échanger avec elle, à l’occasion de la campagne Be Our Change
Passée par l’Amical, une structure sous forme associative qui accompagne les mécènes et les fondations, elle est aujourd’hui administratrice de Pro Bono Lab et consultante chez KPMG, un des quatre grands cabinets d’audit et de conseil. Forcément, elle apporte un regard (très) riche et nuancé sur un secteur en pleine mutation.
Notre rencontre avec Sarah Digonnet intervient à un moment particulier. Le reconfinement est annoncé. Notre entretien est avancé en urgence. D’urgence, il sera d’ailleurs très vite question. Celle qui impose le changement et nous fait perdre la main. Et un constat, que Sarah partage, comme un préambule en évoquant la situation environnementale et sociale : “aujourd’hui nous n’avons peut-être plus le choix, nous sommes contraints d’évoluer. Nous avons parfois pensé que de simples pas de côté suffiraient”, constate-t-elle. Force est de constater que ces petits pas n’ont pas été suffisants.
Une sirène se met à retentir. Décidemment. Personne ne bouge, comme un flottement, où l’on perd ses repères. Le bruit aigu et strident se dissipe. Celle qui est Directrice de projets – Spécialiste ESS et nouveaux modèles d’entreprendre chez KPMG, ne s’est pas départie de son sourire. Une constante, même lorsqu’elle aborde des sujets qui lui tiennent à cœur. Sans doute un gage d’optimisme et d’action, qui l’a amené à multiplier les casquettes : mécénat, ESS, bénévolat…
Elle glisse, comme une évidence “N’est-ce pas plus facile d’appréhender de soi-même le changement, plutôt que de le subir ?” Une question rhétorique, posée sans naïveté, entre deux gorgées de thé. Sarah le sait, le changement ne se conjugue pas de la même manière chez chacun de nous…
Sarah Digonnet parle avec sincérité et exigence. Sans oublier la bienveillance. Elle ne cloue pas au pilori ceux qui tardent à faire évoluer leurs pratiques. Chacun est différent, voilà tout. Le manichéisme passera son chemin, le moment est aux nuances. “Changer, c’est aussi savoir faire preuve d’abstraction et de projection”. Une posture qui n’a rien de naturelle. Le changement peut s’avérer un défi vertigineux, qui ne peut s’enclenche sans écho personnel : “ce qui meut chacun de nous, c’est souvent le sens”.
L’analogie est toute trouvée, elle en convient avec un œil malicieux, mais reprend vite son sérieux. Il ne faut pas se voiler la face, le changement c’est un sujet tellement vaste que l’on s’y perd très vite. Par où commencer ? Avec quels repères? Sarah évoque l’instrument législatif, mais aussi notre entourage, la société. Encore faut-il que la société se retrouve autour de bases communes. “Ce serait plus facile si on avait tous les mêmes convictions d’ailleurs” concède-t-elle dans un éclat de rire. Quelles peuvent être ces convictions ? Comme une évidence : “Le bien commun, l’intérêt général, le partage par exemple ?”
Evoquer le bien commun, l’intérêt général, le partage, est-ce tomber dans l’angélisme ou la naïveté ? Sarah Digonnet l’affirme : aucune raison d’opposer bien commun et business. Elle évoque alors une pratique qu’elle connait bien : l’entrepreneuriat social. “Aujourd’hui, c’est quelque chose qui nous prouve que l’on sait être lucratif et poursuivre une mission d’utilité sociale !”. Les exemples sont légion et se multiplient.
La preuve, c’est d’ailleurs un moteur magnifique au changement. En ce sens, les réseaux sociaux et internet ont ceci de positif qu’ils permettent aujourd’hui de faire connaître au plus grand nombre des modèles vertueux, des réussites. Ils offrent la possibilité d’avoir accès facilement à une connaissance, sans être soi-même spécialiste ou sans passer par une documentation potentiellement indigeste pour les non-initiés.
A un biais profondément humain, celui de se construire en opposition à quelque chose, Sarah promeut l’hybridation des modèles. Piocher ici et là des idées pertinentes, s’inspirer des démarches qui ont fait leurs preuves. Sans doute un moyen d’embarquer tout le monde avec soi. Les structures de l’Économie Sociale et Solidaire sont d’ailleurs des modèles en termes d’hybridation, ne serait-ce que par l’émergence de de plus en plus prononcée nouveaux modèles de gouvernance.
Une hybridation à lire à l’aune des besoins : comment démultiplier son impact de terrain, comment mieux gérer ses ressources, comment répondre aux demandes d’un mécène et ou d’un bailleur public ?
Ces modèles vertueux, ce sont eux aussi qui peuvent donner la force à chacun d’entreprendre des démarches parfois lourdes. “Il ne faut pas se voiler la face, lorsqu’on est dirigeant(e) d’entreprises, il faut être robuste pour mettre en place une démarche RSE, tout en ne mettant pas en péril son activité économique et les salaires à verser à la fin du mois”. Chacun son modèle, chacun son rythme et une démarche positive, qui donne envie de s’engager.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que chacun ne donne pas forcément la même importance à une démarche vertueuse dans sa vie privée ou professionnelle. “Au bureau, certains vont attendre que la dynamique vienne d’en haut par exemple. Alors que d’autres n’envisagent pas un instant cloisonner leur engagement une fois passé le pas de la porte ou du bureau”.
“Il faut toujours des Don Quichotte, des gens un peu plus en avance et motivés que les autres. Des gens qui pendant un temps vont se battre contre des moulins à vent pour faire bouger les choses”. Compréhension, écoute ne veut pas dire bienveillance face à l’inaction. Sarah comprend que certains recourent à des actions coup de poing. Elle cite les FEMEN par exemple, qui cherchent à choquer, brusquer le public pour susciter une prise de conscience.
Elle qui connaît très bien le secteur du mécénat depuis son passage à l’Admical se félicite que les attentes et les barèmes de normes d’engagement sociétal aient évolué : “Il y a 20 ans, avoir une fondation dans son entreprise, c’était un acte formidable. Aujourd’hui, c’est toujours fondamental, mais si le reste des pratiques ne suit pas derrière, quel sens cela a ?”.
Les labellisations sociétales et environnementales ont évolué, Un nivellement par le haut, salutaire et ambitieux.
Les jeux en valent la chandelle. D’ailleurs, on remarque que Sarah n’évoquera pas une thématique de société plus qu’une autre lors de notre entretien. Peut-être par pudeur, peut-être aussi une manière d’exprimer une attention globale à la société. Une démarche inclusive où chaque acte du quotidien, chaque démarche supplémentaire fait boule de neige. De la lutte contre la précarité, aux égalités de genre, en rejoignant la guerre contre les discriminations ou la protection de l’environnement.
Au moment de se quitter, Sarah note que l’alarme ne s’est pas manifestée de nouveau. C’est plus simple pour se parler, quand même. Oui, c’est tellement plus agréable d’échanger sans être dérangés par l’urgence qui se manifeste bruyamment à vos oreilles…
Parasite, un film de Bong Joon Ho pour la satire sociale, les relations et interactions entre les personnes (alliances, oppositions,…)
Simone Veil et/ou Gisèle Halimi pour avoir fait de leur vie un combat pour les Femmes
SOS Méditerranée pour lutter contre l’inhumanité et nous permettre de rester humains, donc.
Ce que je dis le plus souvent, c’est« à la fois.., et à la fois… » (je suis un pur produit de l’hybridation !)